Circulation routière en Afrique de l’Ouest : Plutôt la Cédéao des poches que des peuples

1 day ago
LES CHIMPANZÉS DE BOSSOU -GUINEE

En dépit du principe de libre circulation des personnes et des biens, voyager par la route dans l’espace Cédéao expose à d’interminables tracasseries policières. Pour franchir les frontières, il faut sortir le franc et notre reporter globe-trotter en a fait les frais lors d’un safari Cona-cris-Cotonou, via Abidjan-Accra et Lomé. Les citoyens des pays de l’AES souffrent le martyr (carnet déroute).

La libre circulation des citoyens et de leurs bien est l’un des principes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Cédéao. Mais la réalité est tout autre. Faire le trajet routier Abidjan-Cotonou est un calvaire pour les usagers exposés à une tracasserie qui ne dit pas son nom. La Cédéao des peuples tant rêvée va encore attendre, surtout que trois des quinze pays membres ont annoncé leur retrait de l’Organisation : Mali, Burkina Façon, Niger.

Les voyageurs sont obligés de payer, même nantis de leur carte d’identité Cédéao.

Faire Conakry-Abidjan via Nzérékoré en Guinée-forestière est un parcours du combattant, vu le mauvais état de la route. L’axe Mamou-Faranah, environ 200 km, est quasi coupé. De nombreux usagers préfèrent désormais se taper 50 km de plus (Mamou-Dabola-Faranah), pour rallier la ville du premier président guinéen, Ahmed Sékou Tyran. Actuellement, un pont a cédé à la frontière guinéo-ivoirienne, précisément entre N’Zérékoré et Lola, rendant ainsi la circulation pénible, voire impossible.

Près de 900 km de route pour 24h

Bref, les routes guinée-haines étant en piteux état, le choix est vite fait par le voyageur…s’il en a vraiment le choix, évidemment. Pour se rendre à Cotonou, nous prenons donc un coucou pour le trajet Cona-cris-Abidjan. C’était la semaine dernière.

D’Abidjan, nous reprenons la route. A 10h, démarrent les préparatifs du safari pour Cotonou via Accra et Lomé. Une distance d’environ 870 km en bus. La route est en bon état, mais le parcours durera 24h, à cause du contrôle aux frontières. Nous l’entamons à la gare d’une compagnie de transport à Treichville à 11h. Le bus direct pour Cotonou est parti, il y a une heure. Pas un autre programmé ! Il faut donc voyager par tranches.

Un guide nous propose de prendre un bus pour la ville ivoirienne d’Aboisso, non loin de la frontière, plutôt que d’attendre dans l’incertitude. Surtout que la frontière sera fermée à 18h 30, nous a-t-il prévenu. Il est 13h quand le bus quitte Abidjan. A 15h 20, nous voilà à Aboisso, après avoir parcouru 110 km. De là, nous avons emprunté un minibus pour Noé, zone frontalière avec le Ghana. Au premier barrage, un flic siffle, notre teufteuf s’immobilise. L’agent passe au contrôle d’identité. « Diallo, où se trouve votre carte de résidence ? », questionne-t-il. Réponse : « Je ne suis pas établi en Côte d’Ivoire, chef ». « Ah, vous êtes en transit ? » « Vous avez tout compris, chef ! »

Noé, la frontière de toutes les tracasseries

Chacun des trois voyageurs sans carte d’identité casque 1000 FCFA, pour traverser la frontière, côté y-voit-rien. L’apprenti collecte les sous et les remet au flic. « Généralement, pour éviter d’être taxés de corrompus, les flics évitent tout contact avec les passagers sans pièces d’identité. L’apprenti chauffeur, l’intermédiaire, compte leur nombre, collecte l’argent, le remet aux policiers. Le refus ou l’hésitation d’un passager entrainerait un retard. L’intéressé sera obligé de descendre du véhicule », nous a expliqué un habitué de l’axe Abidjan-Cotonou.

Au premier cordon sécuritaire ivoirien, flics et pandores étaient aussi à l’affût : il faut payer pour passer. Là également, une unité dénommée Anti-drogue est chargée de fouiller les bagages des voyageurs. L’apprenti chauffeur nous avait prévenu : « Si vous ne voulez pas qu’on descende vos bagages, cotisez 2 000 F CFA, nous allons donner à Anti-drogue… » Chacun a cotisé 200 F CFA. Mais, l’agent en poste voulait plus. « 3 000 ou on descend vos bagages », a-t-il martelé. Il reste sourd aux supplications. Finalement, ceux qui n’avaient pas de bagages, plus sensibles, volent au secours de leurs compagnons d’infortune, complètent la rançon.

Attention aux bandits !

Il était 17h, le temps presse, il faut vite franchir la frontière avant sa fermeture prévue à 18h 30. Auparavant, une Béninoise, très gentille, avait suivi notre conversation avec le flic au premier barrage après Aboisso. Elle se propose de nous aider à franchir les frontières. Elle connaît très bien les micmacs du voyage. « Dès qu’un étranger arrive, de nombreux jeunes (rabatteurs et autres) se font passer pour de bons samaritains et se proposent de l’aider à traverser en taxi-moto ou à la pirogue. Ce sont des bandits, ils peuvent t’envoyer dans un coin et te dépouiller de tous tes biens », nous prévient la dame.

A Noé, la frontalière ivoiro-ghanéenne, effectivement, des prétendus chauffeurs ou rabatteurs se ruent sur nous. « Monsieur, vous allez où ? On va vous aider à traverser moins cher, donnez-moi votre bagage ! » Avertis, nous détournons le regard et embarquons dans un taxi recommandé par notre bienfaitrice, moyennant 1000 F CFA par personne. Le chauffeur traverse la frontière avec son teufteuf. Nous rejoignons le rang, muni de nos pièces pour le contrôle. « Apprête 2 000 F CFA », me souffle à l’oreille la gentille dame. Je lui réponds : « J’ai la carte d’identité Cédéao ». Elle me rétorque : « Mon frère, il n’y a pas ça ici, tu vas payer ». Nous nous exécutons et passons sans accroc.

« Moussé, où tu vas ? »

Après le territoire ivoirien, pour entrer au Ghana, il faut aussi payer le même montant. Un flic qui a certainement compris que c’est mon premier voyage me tire du rang et me cause dans un franglais : « Where are you going ? Moussé, où tu vas ? » Il prend ma pièce d’identité, la regarde et la remet à son chef, chargé d’empocher les sous. Celui-ci n’a même pas trop vérifié, il tend la main. Je lui file les 2 000 F CFA et passe.

Il était 18h, nous avions réussi de justesse à franchir la frontière avant l’heure. Pour éviter toutes ces tracasseries, un jeune Togolais qui vit en Côte d’Ivoire a utilisé le terrain grâce à son ami bien connu à Noé. Il a pris la moto de ce dernier et s’est fait passer pour un résidant et est passé tranquillement, sans avoir dépensé un kopeck. Preuve que les frontières de la Cédéao sont poreuses.

Nous sommes désormais en territoire ghanéen. Là aussi commerçants, apprentis chauffeurs, rabatteurs, nous proposent leurs sévices. Nous prenons notre ticket bus, qui va nous conduire à Lomé via Accra. Un bus confortable, climatisé, siège large, ajustable pour se coucher, sans gêner son voisin. A 19h 10, nous bougeons de la frontière ghanéenne pour Lomé.

Après 2h de route, nous arrivons à un barrage. Inutile là aussi d’exhiber sa carte d’identité. Les passagers, colonne par un, versent au premier bureau 1 000 F CFA ; au second, 2000 F CFA. Nous nous acquittons au premier bureau. Au second, on tend 50 Cedis, équivalant à 1 500 F CFA. L’agent nous demande de compléter. On insiste. Il nous ordonne de nous mettre de côté, pour ne pas retarder les autres. Nous sortons alors 2 000 F CFA, pour parler le même langage. Nous avons passé toute la nuit à rouler. A 7h du matin, nous voilà à Lomé. Sans fatigue, ni sommeil.

« Étranger » chez soi

A la frontière Ghana-Togo, précisément à Aflao, ville mitoyenne de Lomé, même scénario. Apprentis chauffeurs, taxi motards et autres se ruent vers nous, pour nous « aider ». Mais la consigne est claire : il ne faut jamais les écouter. La gentille dame se met devant. Nous nous mettons en rang. Pour sortir du Ghana, il faut encore payer 1 500 F CFA. Et pour franchir le cordon togolais, il faut payer 2 000 F CFA. On s’exécute daredare. En fin connaisseur de la route, la dame propose de prendre un taxi-moto à 200 F CFA, chacun, puis un taxi pratiquement dans la ville de Lomé pour mettre le cap à la frontière avec le Togo, appelée Sanvee Kondj 44 Km, à 30 minutes de Lomé.

Contrairement aux autres check-points où les bureaux des agents des pays frontaliers sont séparés, à la frontière Togo-Bénin, ils sont contigus. Un simple pilier les sépare. Aussi sont naturellement séparées les caisses, malgré la proximité géographique. A peine entré dans le cordon, des gabelous fouillent les bagages des passagers. On nous questionne : « Monsieur, qu’est-ce qu’il y a dans votre sac ? » « Ce sont des habits », nous répondons. On nous laisse passer. Nous nous dirigeons vers la sortie où attendent des flics. Arrivé à leur niveau, on leur tend un billet de 1 000 F CFA, conformément aux consignes de la Béninoise. L’agent nous balance : Togo 1 000 F, Bénin 1 000 F. « Chef, je n’ai que 1 000 F CFA, s’il vous plaît et puis j’ai la carte d’identité Cédéao, je suis donc un ressortissant de la Cédéao. » La dame tente d’intervenir, l’agent béninois rétorque : « Madame, est-ce que vous connaissez son pays ? Vous savez comment on traite les étrangers là-bas ? » Il nous ordonne de nous mettre de côté. « Laissez passer les autres, vous, vous ne voulez pas passer ». La mort dans l’âme, on lui tend les 2 000 F CFA. La libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Cédéao est un leurre.

Traitement spécial pour les voyageurs AES

L’annonce de retrait des pays de l’Alliance des Etats du Sahel, AES, de la Cédéao, a évidemment des répercussions sur leurs ressortissants dans la région. En tout cas, des voyageurs nigériens ont dû payer plus que nous, pour franchir la frontière de la Côte d’Ivoire. Certaines compagnies de bus qui font la navette Cotonou-Abidjan font en sorte que les passagers soient épargnés des tracasseries, une fois le transport payé à la gare. C’est seulement à la sortie du Bénin que chaque passager paye 2 500 F CFA. Nous l’avons expérimenté au retour. « Bonsoir, s’il vous plaît, payez 2 500 F CFA pour les agents du Togo et du Bénin. Après ici, vous ne payerez rien jusqu’à Abidjan », nous a garanti un transporteur. Mais les deux Nigériens qui voyageaient avec nous à bord étaient obligés de payer 11 000 F CFA, pour entrer en territoire y-voit-rien. Le convoyeur n’a rien pu faire pour eux. « Nous n’avions pas le choix, nous vivons en Côte d’Ivoire », ont-ils confié, agacés mais impuissants. Au même moment, un bus arrive de Niamey. A son bord, une forte communauté nigérienne dont des nounous et des marmots. On leur a intimé de former un autre rang, pour ne pas se mélanger aux citoyens de la Cédéao. Ils devront certainement payer cher, pour entrer en Côte d’Ivoire.

Le sentiment anti-Cédéao grandit de jour en jour dans la région. « La Cédéao, c’est une organisation qui ne s’occupe que des intérêts des chefs d’Etat. C’est loin d’être une Cédéao des peuples qui permet la libre circulation des ressortissants et de leurs biens », a lancé un voyageur en colère contre les tracasseries aux frontières. Décidément, il y a espace Schengen et espace Chewing-gum.

Ibn Adama,

De retour de Cotonou

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