Analyse : Abdoulaye J Barry explique la problématique des langues nationales en Afrique

2 years ago
LES CHIMPANZÉS DE BOSSOU -GUINEE

De la problématique de nos langues.


Ni la diversité linguistique, ni la pluralité supposée d'écritures ne représente le plus grand défi ou obstacle à la promotion de nos langues. Le plus grand défi réside plutôt dans le nombrilisme ethnico-linguistique et le complexe d'infériorité dont souffrent plusieurs de nos compatriotes surtout intellectuels dont l'esprit a été formaté ou molesté pour être inculqué la supériorité des cultures et civilisations occidentales.


En effet, il y a certains qui se font passer pour des partisans du panafricanisme mais qui en même temps se versent dans des discours de fragmentation et de morcellement linguistique de l'Afrique sur la base des frontières imposées par l'Europe au lendemain de la conférence de Berlin de 1884-1885. Certains parmi eux sont tellement réticents à l'idée d'apprendre une langue africaine autre que la leur, qu'ils préféreraient en dépit de leur panafricanisme, étudier dans la langue de l'ancienne puissance coloniale. Ainsi, pour eux, si l'Afrique devrait étudier dans nos langues, chaque pays devrait adopter une langue qui lui est particulière fut-elle minoritaire. 


Ainsi en Afrique de l'Ouest seulement, nous pourrions nous retrouver avec au moins une quinzaine de langues nationales. Pourtant l'Afrique dispose de grandes langues qui transcendent les barrières artificielles héritées de la colonisation. Ces langues transnationales pour ne pas dire internationales incluent le Hausa, le  Fulfulde ou le Pular et le Manden avec ses variantes (Bambara, Maninka, etc). Ces trois langues, avec plus de 200 millions de locuteurs, se partagent plus de la moitié de la population de la CEDEAO. Parmi ces trois langues, il y en a deux d'ailleurs qui sont parlées au delà des frontières de l'Afrique de l'Ouest, il s'agit du Hausa parlé aussi au Cameroun et le Fulfuldé parlé non seulement au Cameroun mais aussi  en Centrafrique, au Tchad, au Sudan et au-delà.


Par conséquent, et comme l'ont d'ailleurs compris les instances dirigeantes de la CEDEAO et de l'Union Africaine, ces trois langues sont parmi d'autres langues africaines, des maillons essentiels de l'intégration africaine. Ainsi, en plus du Swahili en Afrique Orientale, ces langues peuvent valablement représenter l'Afrique sur la scène internationale et servir de bases pour l'éducation et la recherche. Ces langues disposent déjà d'une base solide en matières d'ouvrages, de recherches car ce sont des langues qui sont écrites depuis des décennies et voire même des siècles pour certaines. 


Par ailleurs, le Pular et le Manden disposent de systèmes d’écritures qui leur sont propres et qui sont aujourd’hui reconnues et supportées par les différentes plateformes de technologie. En effet, ADLaM et Nko qui sont reconnus et codifiés par ISO (Organisation Internationale de Standardisation) sont aussi supportés par le systèmes d’opération Android de Google, Windows de Microsoft, MacOs et iOs de Apple, etc. En plus, ADLaM est aussi supporté sur Chrome de Google et même Java d'Oracle pour la programmation informatique. En plus des 28 lettres qui constituent la base pour écrire le Pular ou Fulfulde, ADLaM dispose de six lettres additionnelles qui permettent d’écrire d'autres langues africaines sans recourir à des signes diacritiques ou autres marques.


Tout ceci démontre, que ces langues et ces écritures africaines ont atteint un niveau de développement tel qu'elles pourraient bien servir dans l'enseignement et la recherche scientifique. Il ne reste plus que la volonté politique de la part de nos dirigeants et l'implication de nos intellectuels qui doivent s'investir dans la transcription et le transfert des connaissances scientifiques.


Mais l'exécution de tels projets linguistiques au bénéfice de l'Afrique se heurte au nombrilisme ethnico-linguistique mais aussi et surtout au complexe d'infériorité de certains de nos cadres et pseudo-intellectuels. Ce sont eux qui se plaisent à désigner nos langues comme étant des dialectes ou des langues vernaculaires pour les denier toute portée véhiculaire et leur enlever leur valeur linguistique et scientifique 


Ces expressions ou labels dégradants sont d'origine coloniale et avaient pour simple but de permettre au colon surtout français d'imposer sa domination culturelle et linguistique sur l’Afrique. Pour le colon, nos langues étaient des dialectes, nos habits sont traditionnels ainsi que nos mets. Nos intellectuels ou cadres qui ont été formés dans ce système colonial et qui après avoir hérité de la responsabilité de diriger nos pays au départ du colon, ont purement et simplement continué ce même traitement avilissant de nos valeurs culturelles.


Pour ces africains victimes de complexe d'infériorité, l'Afrique ne peut se développer que dans les langues européennes. Pourtant il y a de cela plus de soixante années que nous essayons sans succès. Le niveau et la qualité de l’éducation laissent toujours à désirer. Chaque année d’ailleurs, les choses ne font qu'empirer. Pourtant il y a des exemples qui prouvent qu'avec nos langues et nos écritures, nous pourrions mieux faire. La Corée, l'Israël et beaucoup d'autres pays sont là pour le prouver. 


En effet, la Corée qui, à la veille des indépendances n’était pas plus avancé que les pays africains, a aujourd’hui réussi le pari du développement pour devenir l'un des pays les plus riches du monde. Tout ceci, la Corée l'a réussi dans sa propre écriture et dans sa propre langue. Pourtant, à la différence de beaucoup de pays africains qui ont eu leur indépendance pacifiquement, la Corée avait d'abord été occupée par le Japon avant la première guerre mondiale, pour ensuite connaître une guerre fratricide qui fera plus de deux millions de morts et de blessés et aboutira à la partition du pays en Nord et Sud.


Quant à l'Israël, avant 1945, ce pays n'existait même pas et sa langue, l’hébreu était en voie d’extinction. Mais les Israéliens ont réussi à faire renaître leur langue et leur écriture pour s'en servir et faire de leur pays l'un des pays les plus avancés du monde aujourd’hui en matière de recherche, de technologie et de développement.


Alors qu'est-ce qui empêcherait l'Afrique de se servir de ses modèles pour amorcer son développement. La science et la connaissance ne sont l'apanage d'aucune, écriture ou langue ou culture. Tout ce qui est possible en Français ou en Anglais est aussi possible en Kpele, Pular, Maninka, Susu, Kissi, etc. Il suffit d'avoir la volonté et de se mettre au travail.


Abdoulaye J Barry 

[email protected]

Conakry, Guinée

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